David SAUSSIER
La révolution copernicienne
Pendant plus de quinze siècles, la physique et l'astronomie d'Aristote et de Ptolémée dominaient la pensée européenne.
Leur conception du monde était géocentrique : la Terre immobile se trouvait au centre de l'univers, entourée de sphères cristallines portant les planètes et les étoiles. Aristote (IVᵉ s. av. J.-C.) distingue le monde sublunaire (la Terre et l'atmosphère), qui est corruptible, composé de quatre éléments (terre, eau, air, feu), tandis que le monde céleste est parfait, immuable, formé d'un cinquième élément, l'éther. Dans son Almageste, Ptolémée (IIᵉ s. ap. J.-C.) formalise un système géométrique complexe pour expliquer les mouvements planétaires à l'aide d'épicycles et de déférents.
Ce modèle est en accord avec la théologie chrétienne : Dieu a placé l'homme au centre de la Création. Contester cette vision, c'était contester l'ordre divin.
Au début du XVIe siècle, le modèle d'Aristote et de Ptolémée règne en maître absolu.
  • La Terre est immobile, au centre du cosmos.
  • Les cieux sont parfaits, faits de sphères cristallines.
  • Les planètes tournent en cercles (symbole de perfection), autour de la Terre.
  • L'Église a intégré cette vision dans sa théologie : Dieu a placé l'homme au centre.
Penser autre chose, c'était à la fois absurde, blasphématoire et philosophiquement impensable.
Et pourtant, des fissures apparaissent :
  • les calculs ptolémaïques deviennent trop compliqués, bourrés d’épicycles.
  • les observations des planètes ne collent pas toujours.
  • les marins et les navigateurs, grâce aux grandes découvertes, commencent à voir le monde différemment : la Terre semble bien ronde, mobile, mesurable.
Les savoirs arabes et la redécouverte des textes anciens
À partir du XIIe siècle, la transmission du savoir arabo-musulman bouleverse l'Europe.
Des villes comme Tolède ou Cordoue deviennent des centres de traduction : les Européens redécouvrent Aristote, mais aussi les travaux d'Averroès, d'Alhazen (Ibn al-Haytham, optique), d'Al-Battani (astronomie), ou encore les mathématiciens arabes qui ont perfectionné la trigonométrie et l'algèbre.
Les instruments d'observation (astrolabes, quadrants) et les méthodes de calcul progressent.
Cette effervescence intellectuelle prépare le terrain pour les remises en question futures : l'observation et la mesure vont peu à peu remplacer l'autorité et la foi.
L'intuition de Copernic : la simplicité géométrique
Ce qui a motivé Copernic, ce n'est pas d'abord une rébellion spirituelle, mais une intuition mathématique.
Il trouvait le système de Ptolémée trop compliqué pour être vrai.
« Il serait plus beau que tout cela s’explique par un seul mouvement simple et régulier. »
— Copernic, De revolutionibus
Copernic était profondément néo-platonicien : il croyait que l'univers devait refléter une harmonie divine, fondée sur la symétrie et la beauté mathématique.
Le Soleil, source de lumière et de vie, lui semblait naturellement digne d'occuper le centre.
Il remarque que si la Terre bouge, beaucoup de phénomènes deviennent plus simples à expliquer.
Dans De revolutionibus orbium coelestium (1543), Copernic propose une idée révolutionnaire : le Soleil est au centre, la Terre tourne autour de lui, et sur elle-même. Ce modèle est le modèle héliocentrique.
Cette approche simplifie les calculs astronomiques et rend compte plus naturellement du mouvement rétrograde des planètes.

Mais il choque l'Église et le sens commun : si la Terre bouge, pourquoi ne sent-on rien ? pourquoi les objets ne sont-ils pas projetés en arrière ?
Copernic reste prudent : son livre est publié l'année de sa mort, et est présenté comme une simple hypothèse mathématique pour éviter la censure.

Tycho Brahé et Kepler : l'observation au service de la loi
Tycho Brahé (1546-1601), grand observateur danois, construit sur l'île de Hven un tout nouvel observatoire. Ainsi, sans lunette, il mesure les positions planétaires avec une précision inégalée.
- Les planètes décrivent des ellipses (et non des cercles parfaits).
- Le rayon vecteur Soleil-planète balaie des aires égales en temps égaux.
- Le carré de la période d'une planète est proportionnel au cube de sa distance moyenne au Soleil.
Kepler remplace l'idée d'un univers “parfaitement circulaire” par un univers mathématiquement ordonné, mais non parfait.
Galilée : la physique de l'observation et de l'expérience
Parallèlement, Galileo Galilei (1564-1642) perfectionne la lunette astronomique (1609) et observe :
  • les lunes de Jupiter → preuve que tout ne tourne pas autour de la Terre ;
  • les phases de Vénus → confirment l'héliocentrisme ;
  • les taches solaires → le ciel n'est pas parfait ;
  • les montagnes lunaires → la Lune n’est pas une sphère divine.
Il étudie aussi la chute des objets et découvre que la vitesse de chute d'un corps est indépendante de sa masse.
Ses travaux jettent les bases de la mécanique expérimentale et de la méthode scientifique moderne.
Mais son succès heurte l'Église : il est jugé en 1633 par l'Inquisition, et abjure l'héliocentrisme sous la menace.
Descartes et Pascal : la physique des causes et des lois

René Descartes (1596-1650) introduit une philosophie mécanique de la nature : tout s'explique par la matière en mouvement, sans intervention divine directe.
Dans son Traité du monde, il imagine un univers rempli de tourbillons : le vide n'existe pas, la lumière et les planètes se propagent dans un fluide subtil.
Il invente aussi la géométrie analytique, liant les équations aux formes, préparant les outils mathématiques de Newton.

Blaise Pascal (1623-1662), disciple critique de Descartes, démontre l'existence de la pression atmosphérique : dans ses expériences du Puy-de-Dôme (1648) il constate que le mercure descend avec l'altitude → la pression de l'air diminue.

Il formule la loi de Pascal :
la pression se transmet intégralement dans un fluide
,loi qui permet l'invention de la presse hydraulique.
Pascal incarne la tension entre science et foi, typique du XVIIe siècle : comprendre la nature n'exclut pas la spiritualité.
Newton : l'unification des cieux et de la Terre
Isaac Newton (1643-1727) synthétise tout l'héritage précédent.
Dans ses Principia Mathematica (1687), il énonce les trois lois du mouvement et la loi universelle de la gravitation :
F = G.(m1.m2)/r2
Cette équation simple relie les mouvements célestes (Kepler) et terrestres (Galilée). => L'univers devient un tout cohérent, régi par des lois mathématiques universelles.
Newton invente aussi le calcul différentiel, en parallèle de Leibniz, et fonde la physique classique.
Une révolution dans la vision du monde
Ces découvertes le XVIe et la première moitié du XVIIIe siècle révolutionnent la façon de voir et de comprendre le monde :
1. La méthode scientifique
L'observation, l'expérience et la formulation de lois mathématiques remplacent l'autorité et la spéculation.
→ naissance de la science moderne.
2. Un univers désacralisé
La nature n'est plus un mystère divin, mais un mécanisme explicable par des lois.
→ ouverture à la pensée rationnelle, à la technologie, à l’ingénierie.
3. Conflit et dialogue avec la foi
Copernic, Galilée, Pascal… tous ont affronté la tension entre science et religion. Mais cette tension a stimulé la réflexion sur les limites de la connaissance humaine.
L'idée que la nature obéit à des lois universelles est devenue la pierre angulaire de toute la science moderne.
Quelques fiches :